Red HatLa distribution Red Hat Enterprise Linux (RHEL pour les intimes) est constituée d’une multitude de composants libres dont le code source est publiquement accessible en temps normal. Les éditeurs de Rocky Linux, Alma Linux, Springdale Linux ou Oracle Linux profitent de cette situation pour proposer des clones binairement compatibles avec la distribution RHEL. Depuis le rachat de Red Hat par IBM, cet état des choses semble poser un problème à la nouvelle maison mère. En effet, les clones fonctionnent aussi bien que l’original, et les administrateurs système un tant soit peu débrouillards peuvent très bien se passer du support technique de Red Hat, ce qui permet d’économiser pas mal d’argent en termes de licences.

La fin des haricots

CentOS LogoLe premier coup de semonce a été tiré en 2020 avec l’annonce de la fin du projet CentOS en tant que clone binairement compatible à RHEL. Red Hat a certes annoncé ce changement de paradigme comme une « revalorisation » du projet, mais les administrateurs système qui utilisaient CentOS n’ont pas été dupes de ces éléments de langage marketing plus ou moins vides de sens. Le fait est que Red Hat a décidé d’écourter massivement le cycle de support de la distribution CentOS, ce qui a mis pas mal de monde (moi inclus) dans une situation embarrassante. À en juger d’après ce qui s’est dit sur la liste de diffusion de CentOS, l’écrasante majorité des utilisateurs a décidé de tourner le dos à cette distribution jadis si populaire.

Une attitude ouvertement hostile

Hache de guerreFin juin 2023, deuxième coup de semonce : Red Hat annonce la suppression du dépôt public git.centos.org, qui permettait un accès transparent au code source de Red Hat Enterprise Linux. On notera là aussi les mêmes éléments de langage bidon pour tenter désespérément de noyer le poisson. Désormais, seuls les abonnés de Red Hat auront accès aux sources de la distribution. Comme il fallait s’y attendre, cette décision a causé un certain émoi auprès de tous les distributeurs de clones, qui ne pouvaient plus construire le moindre paquet. Certes, les éditeurs de Rocky Linux n’ont pas tardé à trouver des solutions et à rassurer leurs utilisateurs quant à la pérennité de la distribution. Il n’empêche que le monde du logiciel libre se retrouve confronté à un phénomène inédit : Red Hat adopte désormais une attitude ouvertement hostile face aux distributions clonées. Ces dernières se sont d’ailleurs fait traiter publiquement de « profiteurs » et même de « parasites » par des employés de Red Hat.

Je te montre le mien, tu me montres le tien

On pourra objecter que la création et la maintenance d’une distribution comme Red Hat Enterprise Linux demande énormément de travail. Gérer une offre logicielle pendant plus de dix ans – avec le rétroportage des correctifs de sécurité pour des composants obsolètes comme PHP 5.4 ou Python 2.7 – est une tâche herculéenne. Si les clones de Red Hat se contentent de compiler le code source de tout ce travail pour un faire un produit gratuit, est-ce que le terme de « profiteur » ne serait pas approprié, après tout ?

GNUN’oublions pas que l’écosystème de Linux c’est avant tout du logiciel libre. À commencer par le noyau, et tous les autres composants : Apache, Nginx, PHP, Postfix, Java, PostgreSQL, Bash, GCC, GRUB, Python, etc. Il est vrai que Red Hat participe activement à un certain nombre de ces composants comme le kernel, GNOME, systemd, etc. Mais en dehors de cela, Red Hat profite également de toute une série de projets sans le moindre retour.

Jusqu’en 2020, l’écosystème du logiciel libre semblait fonctionner correctement autour de Red Hat. D’une part, le monde de Linux et du libre profite du fait que des entreprises comme Red Hat soient cotées en bourse et engrangent des milliards de dollars de profits. D’autre part, Red Hat à son tour profite de toute une panoplie de logiciels libres de qualité. Sans oublier que Red Hat profitait également de CentOS lorsque cette distribution était un clone gratuit binairement compatible. Après tout, les étudiants d’aujourd’hui sont les ingénieurs de demain, et un étudiant familiarisé avec une distribution gratuite comme CentOS n’hésitera pas à travailler plus tard sur un système Red Hat s’il est déjà familiarisé avec son fonctionnement. En plus de cela, les rapports d’erreurs envoyés à CentOS servaient également à améliorer la distribution en amont.

La merdification de Red Hat ?

CommercialMais voilà, Red Hat a décidé de casser cet équilibre qui fonctionnait pourtant, et pour une raison mystérieuse. Certainement pas pour des raisons financières, puisque l’entreprise a été rachetée en 2018 par IBM pour la somme obscène de 34 milliards de dollars et qu’elle est toujours extrêmement profitable. La seule explication logique reste probablement la logique turbo-capitaliste d’IBM qui tente désespérément de maximiser les profits, et en se tirant deux coups de douze dans le pied au passage. Ce genre de phénomène a été décrit très récemment par Lionel Dricot dans son article De la merdification des choses. À mon avis, l’attitude de Red Hat entre exactement dans ce paradigme.

Ajoutons à cela le fait que le timing de Red Hat est tout bonnement dégueulasse (je pèse mes mots). L’annonce du changement de paradigme (fin 2020) aussi bien que l’arrêt de la publication des sources (juin 2023) tombent comme un cheveu sur la soupe en plein cycle de publication en coupant l’herbe sous les pieds de tous les administrateurs qui utilisent ces systèmes. Cette manière de procéder a d’ailleurs motivé le développeur Ansible Jeff Geerling a interpeller Red Hat publiquement pour leur demander s’ils n’avaient pas pété un câble.

Et maintenant ?

HarakiriJe ne sais pas trop ce que Red Hat est en train de faire. Quelque chose comme résoudre la quadrature du cercle en misant sur de l’Open Source mais sans trop publier lesdites sources. Même si l’entreprise a probablement les moyens de payer grassement une équipe d’avocats, Red Hat va finir par se faire taper sur les doigts par la Software Freedom Conservancy qui nous fait déjà savoir qu’elle n’est pas contente. Après tout, les termes de la GNU Public License sont ce qu’ils sont.

Une chose est sûre : Red Hat a massivement endommagé sa réputation dans la communauté du libre.

Et c’est bien dommage.


10 commentaires

Erwann · 2 juillet 2023 à 21 h 28 min

Merci Nicolas pour ce billet.
J’apprécie l’explication posée d’une situation qui ne peut que faire monter la colère.
Je partage ton point de vue quant à la « merdification » des choses : projets, entreprises rachetées, etc.
À mon humble avis, cette situation est le résultat de « managers » biberonnés aux principes de l’argent et du « succès » facile tel qu’enseignés dans les multiples formations « MBA ».
Bien que les expériences passées montrent la régularité des échecs de telles approches, les erreurs sont répétées avec la régularité d’un métronome et leurs auteurs sont félicités et honorés pour les « gains » – essentiellement à courts termes – induits pas ces erreurs.
Malheureusement il est possible de constater ce genre de comportements mortifères dans de multiples secteurs pas seulement en informatique.

Bon courage pour sauver / migrer (?) les éco-systèmes CentOS que tu as implémentés chez tes clients.
Bonne continuation,
Erwann

PS: Je goûte particulièrement la définition de l’acronyme « MBA » donnée par un ami britannique (lui-même titulaire d’un PhD) : « Minus Brain Activity ».
Pour ma part, au cours de ces 30+ dernières années, je ne peux que constater que les titulaires de MBA sont incapables (ne sont plus capables) de penser par eux-mêmes. Ils ne savent qu’appliquer les « règles » définis dans des livres chèrement acquis.
Le lavage de cerveau réalisé dans le cadre de MBA semble être d’une efficacité redoutable (certaines sectes ne font pas mieux).

Denis · 10 juillet 2023 à 1 h 45 min

Très heureux, pour ma part, d’avoir abandonné CentOS qui ne proposait pas de saut de version majeure sans réinstallation pour Fedora Server.

    kikinovak · 10 juillet 2023 à 7 h 35 min

    C’est parce que les sauts de version majeure ça ne se fait pas sur les serveurs. Enfin si, on peut le faire, comme on peut grimper sans corde ou rouler sans casque en moto. Y’en a qui le font. L’intérêt de RHEL et des clones, c’est de proposer des mises à jour à faible risque sur dix ans. Et lorsqu’on arrive en fin de vie sur une release, on en profite pour changer le hardware également. C’est expliqué en détail ici.

Laurent · 11 juillet 2023 à 11 h 09 min

Après avoir abandonné RHEL pour CentOS puis pour AlmaLinux. Il ne me reste guerre que passer à Debian pour installer sur un serveur sur lequel on veut pouvoir installer certains logiciels achetés sur étagère (Zimbra, Tina ?…)

yoann · 12 juillet 2023 à 11 h 56 min

Comme on en avait parlé a la suite de l’arret de centos, rien de plus fiable que du debian qui n’a pas cette partie commercial et donc pas ce genre de soucis, tu n’a plus qu’a migrer toute tes machines mdr

    kikinovak · 12 juillet 2023 à 12 h 29 min

    Certes, mais la durée de support est nettement inférieure. Pour ma part je reste fidèle à Rocky Linux.

Jo · 17 juillet 2023 à 18 h 39 min

Même Ubuntu entre dans la dance de la merdification avec leur stratégie « Ubuntu Pro ». Du coup sur mon desktop, je suis retourné à Debian et je ne m’attendais pas à le faire avec autant de plaisir. L’extrême stabilité de Debian n’est pas une légende. En plus, la version 12 a ajouté un dépôt « non-free-firmware » (optionnel) qui lui permet de démarrer à peu près n’importe quoi. Joie.

C’est vrai que Debian nécessite plus de travail de maintenance. Une version est maintenue jusqu’à la sortie de la version n+1 (± 2 ans) puis sécurisé jusqu’à n+2 puis « sécurisé à long terme » par le bon vouloir des entreprises utilisatrices jusqu’à n+3. Ce qui ne donne que 4 ans (pour les stressés) à 7 ans avant de devoir migrer.

Mais ! Avec Debian, je n’ai jamais eu peur de lancer un « sudo apt dist-upgrade » pour changer de version. La documentation de migration est extraordinairement riche et bien tenu. Je n’ai jamais eu de mauvaise surprise en 15 ans d’utilisation sur serveur. Qui plus est, avec les machines virtuelles, tester la migration n’a jamais été aussi simple. Ajouté à cela les Flatpaks qui permettent de ne pas rester coincé avec un LibreOffice ou un Gimp trop vieux…

Finalement c’est sans doute vrai que c’est dans les vieux pots que se font les meilleures soupes. Debian est toujours la 2e distribution la plus vieille encore maintenue :D. Et ce n’est pas à un amoureux de Slackware que je vais apprendre à faire la grimace 😉

Alors mon cher Kikinovak, combien de vacherie IBMiène avant de craquer pour des .deb ?

    kikinovak · 17 juillet 2023 à 23 h 54 min

    J’ai tout juste commencé à expérimenter avec une distribution carrément indépendante et quelque peu confidentielle, et qui me plaît beaucoup.

      jo · 18 juillet 2023 à 17 h 46 min

      Oui, il y aussi SerpentOS/Solus5 à surveiller d’un coin de l’œil et NixOS qui me fait du pied.

        kikinovak · 18 juillet 2023 à 18 h 16 min

        Solus a eu pas mal de problèmes sur le plan humain dans le passé, avec le fondateur Ikey Doherty qui aimait bien réinventer la roue et qui a fini par tout plaquer. Void c’est une équipe de 700 développeurs actuellement. J’ai l’impression que c’est un secret bien gardé. Plus j’avance, et plus cette petite distrib me plaît. La documentation est excellente pour commencer.

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