En tant que formateur, je dois régulièrement fournir tout un tas de paperasses pour être en règle avec les exigences de Qualiopi. Concrètement, les entreprises de formation pour lesquelles je travaille en tant que prestataire externe me demandent une fois par trimestre de fournir toute une série d’attestations, parmi lesquelles une Attestation de Régularité Fiscale, un papier officiel qui dit en gros que je suis en règle avec mes impôts et que je ne dois rien à l’État.
Le bon vieux temps
Dans le bon vieux temps, j’appelais les Impôts à Nîmes. Je composais directement le numéro réservé aux professionnels pour éviter le temps d’attente de l’accueil pour les particuliers. Un fonctionnaire du service des impôts pour les entreprises décrochait, j’expliquais brièvement ce qu’il me fallait, et quelques jours plus tard, j’allais repêcher le papier en question dans ma boîte aux lettres.
Avant que je ne me fasse traiter de boomer réac et passéiste, pensez à ceci :
- Le papier est une technologie pérenne qui a fait ses preuves depuis plusieurs millénaires.
- Il est exempt de bugs.
- Il ne connaît pas de problèmes de téléchargement.
- Aucun souci de compatibilité et d’interopérabilité.
- Il ne me propose pas d’installer la version Windows d’Adobe Reader sur ma station de travail Linux.
- Etc.
La dématérialisation en théorie
L’idée de la dématérialisation est assez sympathique en théorie :
- Plus besoin d’appeler les impôts au téléphone.
- Au lieu de cela, on se connecte au site.
- On se rend dans la rubrique Attestations.
- On déplie le menu déroulant et on sélectionne Attestation de Régularité Fiscale.
- Le site génère l’attestation en question.
- Il suffit de télécharger le PDF.
En temps normal, cette opération prend une minute au grand maximum. Deux si vous n’êtes pas doués pour l’informatique.
Et en pratique ?
Voilà comment se passent les choses dans la réalité quotidienne en France. Je me rends sur le site des impôts pour les professionnels, qui a visiblement été codé par un stagiaire daltonien et dyslexique, et dont l’ergonomie a été élaborée par une équipe de Shadoks :
Je ne sais pas si vous avez déjà eu l’occasion de naviguer dans cette usine à gaz ou d’y retrouver quoi que ce soit, mais je vous mets au défi. Pour ma part, j’ai passé une bonne demi-heure à naviguer dans les rubriques diverses et variées, et j’ai fini par me rendre à l’évidence qu’il m’est impossible de télécharger l’attestation en question.
Retour vers le papier
Cela fait des années que plus personne ne répond au téléphone aux Impôts de Nîmes. Ils ont certes un numéro de ligne fixe, mais soit ça sonne dans le vide, soit ça déclenche un répondeur qui vous demande de rappeler plus tard.
Il paraît que l’explorateur Sylvain Tesson a réussi un jour à avoir quelqu’un au téléphone aux Impôts de Nîmes, mais vu qu’il n’avait pas de témoin pour cet exploit, ça reste dans le domaine du mythe urbain.
Je démarre donc un traitement de texte et je rédige le courrier suivant :
- J’imprime le courrier.
- Je le glisse dans une enveloppe.
- Je passe au Bar Tabac de mon village pour acheter un timbre.
- Je mets mon courrier dans la boîte aux lettres à côté du Bar Tabac.
Un cas de hernie fiscale
Une semaine après, je reçois un e-mail envoyé par un certain sie.nimes
(sic), avec un fichier .odt
en pièce jointe. Voici à quoi ça ressemble :
Le document en l’état est inutilisable. Je clique donc sur Répondre dans ma messagerie, et j’ai droit à une réponse instantanée Undelivered Mail Returned to Sender
, avec un message d’erreur User unknown in local recipient table
.
Je vous fais grâce de la suite de mes déboires, mais je pense que je ne suis pas le seul à me retrouver dans ce genre de situation.
Et maintenant ?
On est manifestement face à un malaise suite à l’amalgame déplaisant de bordel et de rigueur que constitue la dématérialisation des services dans ce pays. Des dysfonctionnements à répétition qui s’inscrivent dans une logique de merdification générale du service public, des hôpitaux, des écoles, etc.
À part le réflexe vital de développer un fatalisme sain et une bonne dose de résilience, je n’ai aucune solution à proposer. Mais le prochain décideur politique que j’entends parler de l’excellence technologique de la Start Up Nation, je lui fais bouffer son discours.
Sans ketchup et sans moutarde.
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8 commentaires
Benoît · 8 février 2024 à 16 h 23 min
Je partage tellement! Juste, dans mon « coin », on peut encore joindre directement par mail le service concerné, ça ménage un peu les nerfs.
Si on est un peu foufou, on peut aussi tester le site de l’inpi pour modifier, par exemple, la micro-entreprise avec laquelle on intervient en formation depuis 11 ans. C’est un régal. J’ai fini par ne plus exercer le même métier après ce passage simplificateur formidable, et toutes les suites que ça donne, mise en demeure des impôts pour réguler la cfe et tout le toutim, alors que… rien n’a changé! J’ai particulièrement apprécié.
EHAMON · 8 février 2024 à 16 h 32 min
Pas plus tard que hier, on m’a demandé également un ‘certificat de régularité fiscale’. Je suis allé donc sur le site des impôts des professionnels. Après avoir fouiné sur le site, je n’ai rien trouvé. J’ai donc déposé un mail sur le système de messagerie interne au site, leur demandant s’il était possible de m’envoyer le certificat en question, au format pdf. J’ai eu une réponse 5 minutes plus tard par mail, m’invitant à me relogguer sur le site des impôts. La réponse m’attendait avec le fichier pdf demandé. Nickel. J’ai eu du mal à croire en la célérité du centre des impôts. Il y a encore des personnes réactives dans le centre des impôts de Roissy En Brie (77). Merci à eux. Sur ce coup, c’est un sans-faute.
Nch · 8 février 2024 à 19 h 12 min
La rapidité et la justesse avec laquelle ils répondent sur la messagerie interne m’a épaté à plusieurs reprises ses dernières années. Au contraire, toutes les étapes demandant des formalités papiers (perso) ont été un calvaires (certificat de naissance, livret de famille livré dans la mauvaise mairie… 2 fois…).
Comme quoi, les expériences sont subjectives et les témoignages ne peuvent être pris que pour des anecdotes généralement.
devfabrik · 8 février 2024 à 22 h 38 min
Triste constat mais tellement réel … Article très bien écrit sur des problèmes qui nous font perdre un temps fou pour rien.
Bruno · 9 février 2024 à 7 h 27 min
C’est une blague ou quoi ?
Cette attestation s’obtient en quelques clics sur le site des impôts.
https://www.impots.gouv.fr/professionnel/questions/comment-obtenir-une-attestation-de-regularite-fiscale
kikinovak · 9 février 2024 à 8 h 09 min
Lis le dernier paragraphe de la doc dont tu m’as envoyé le lien. « Dans certaines circonstances le service en ligne n’est pas disponible ». Je confirme. Curieusement, la doc en ligne du site des impôts est très bien faite. Y’a juste leur site pro qui est une grosse bouse.
franceschini · 11 février 2024 à 9 h 47 min
Courage, à l époque du self- branding, on n’ a pas fini de rigoler, un bon café
et hop ça repart.
kikinovak · 11 février 2024 à 9 h 55 min
Merci pour le kilo de café !